Historique
Moshe Feldenkrais est un ingénieur et physicien d’origine russe, né en 1904. Émigré en Israël à l’âge de quatorze ans, il étudie les mathématiques et la géodésie puis s’installe à Paris et obtient un diplôme d’ingénieur en mécanique et électrotechnique et un doctorat d’ingénierie.
Il suit un enseignement de jiu-jitsu et développe déjà à cette époque une forme personnelle d’entraînement qu’il publie dans son premier livre en 1931 (« Jiu-jitsu et self-défense »). En parallèle de son travail d’assistant de recherche, il pratique le judo avec Jigoro Kano, fondateur de cette discipline, et crée le club de judo de Paris.
Cet enseignement a joué un rôle capital dans la démarche de Feldenkrais car il lui apportait à la fois les connaissances biomécaniques dont il aurait besoin plus tard, mais également une approche combinant le travail sur le corps et le mental.
Dans les années 1940, Moshe Feldenkrais1 souffre de douleurs à un genou dues à une blessure de foot de jeunesse. Cette blessure s’aggrave et le gêne fortement pour marcher, en plus de la douleur occasionnée. Les médecins n’espèrent pas qu’il puisse remarcher normalement un jour. Ce handicap va l’amener à s’auto-observer finement, afin de trouver des solutions adaptées pour se soulager.
Il va s’appuyer sur ses expériences en arts martiaux ainsi que sur ses connaissances en physique, ingénierie, neurobiologie, pour appréhender son propre dysfonctionnement. Feldenkrais complète aussi son savoir en étudiant l’anatomie fonctionnelle, le fonctionnement du système nerveux et la recherche comportementale. Au cours de ses observations, il remarque qu’il lui arrive de passer des jours sans aucune douleur au genou tandis que celle-ci revient de façon soudaine par la suite. Il continue à expérimenter sur lui-même par son propre mouvement, jusqu’à parvenir à la guérison de son genou.
Après des dizaines d’années de recherche, il établit sa méthode, la présente à un groupe de travail scientifique et la teste avec et sur eux. Il publie son premier livre à ce sujet en 1949 : « L’être et la maturité du comportement ». Son succès est international. Feldenkrais retoure en Israël après la seconde guerre mondiale et transmet son savoir à des étudiants qui le diffusent peu à peu en Europe et en Amérique du Nord. La méthode Feldenkrais devient une discipline d’étude à part entière dont les praticiens sont diplômés au bout de quatre ans de formation.
Grands principes
Le mouvement comme moyen d’action thérapeutique
Influencé par la notion de lien corps-esprit qu’il avait déjà explorée grâce au judo et au jiu-jitsu, Feldenkrais envisage le corps humain comme étant un ensemble indissociable contenant corps, esprit, structure, fonction. Cet ensemble détermine la base même de son approche globale. Pour Feldenkrais, toute activité humaine se traduit par quatre activités, elles aussi inséparables: le mouvement, la perception, l’émotion, la pensée. Il décide de se concentrer sur l’étude du mouvement.
Pour lui, ilest l’expression vitale la plus directe et donc la plus facilement observable par les personnes. Chacun peut en faire l’expérience consciente et diriger sa volonté par le mouvement. Il voit donc là un moyen de pouvoir réorganiser non seulement la manière de se mouvoir, mais également de se percevoir.
La conscience sensori-motrice
Par conséquent, il estime que l’individu continue son apprentissage neuro-moteur tout au long de sa vie et que le travail sur la perception de ses propres mouvements2, permet de continuer à se développer personnellement même à l’âge adulte.
C’est ce que Feldenkrais appelle «l’apprentissage organique». Cela est aujourd’hui confirmé par les neurosciences: la découverte récente de la neuroplasticité apporte en effet la preuve que chacun peut reconfigurer son réseau neuronal à tout âge, grâce à l’apprentissage, et donc bâtir une perception évolutive de soi et du monde qui nous entoure.
Selon Feldenkrais, un mouvement qui nous paraît difficile est celui qui n’est pas correctement exécuté. Or le système neuro-végétatif permet de le contrôler le et donc d’avoir une meilleure maîtrise de ce dernier. Il existe un laps de temps entre la pensée et l’acte.
Pour Feldenkrais ce délai correspond au fondement de la conscience. L’information, qui commande le mouvement, est générée par le système supra-limbique, puis il est ensuite réalisé par le corps. Les mouvements volontaires, ceux qui ne correspondent pas à des réflexes musculaires (comme par exemple les contractions involontaires de la paupière), ont la propriété d’être réversibles : à tout moment, nous pouvons les interrompre, les inverser, les reprendre dans la même direction ou les changer complètement.
Une méthode d’exploration de l’image de soi
Le but de la méthode Feldenkrais3 est d’accéder à plus de possibilités au sens large dans sa vie, grâce à la conscience et donc aux choix de ses propres mouvements. Cette idée est résumée par ainsi par Moshe Feldenkrais: «Si vous savez ce que vous faites, vous faites ce que vous voulez».
La thérapie Feldenkrais est transmise de la manière suivante: en séances individuelles, dites d’intégration fonctionnelle, et en séances collectives, dites de prise de conscience par le mouvement.
Le rôle du thérapeute est d’amener l'individu à l’exploration de ses possibilités de mouvement, en partant d’observations conscientes et fines de celui-ci. Peu à peu, par des exercices guidés, le thérapeute lui permet de comparer l’amplitude, les sensations, l’effort engagé lors de chacun de ses gestes. Il est parfois uniquement réalisé par la pensée, soit parce que la personne ne peut pas l’effectuer, soit pour renforcer l’intégration mentale de la séquence de mouvements à mettre en place.
Par l’observation consciente, elle peut alors agir plus librement en choisissant de se mouvoir, de la manière la plus simple et demandant le moins d’effort. Elle construit une image de soi plus précise, avec un potentiel de déplacements plus élargis.
La méthode Feldenkrais ne supprime pas les troubles fonctionnels mais permet à l'individu qui en souffre de se mouvoir de façon plus satisfaisante. Avec plus de mobilité, tous les gestes et déplacements sont plus faciles à effectuer et apportent confort et sensation de liberté à celui qui pratique.
Déroulement d’une séance
Leçons individuelles
Les leçons individuelles sont aussi appelées séances d’intégration fonctionnelle (IF). Elles démarrent par une anamnèse au cours de laquelle le thérapeute prend connaissance des besoins du patient. On peut par exemple vouloir retrouver une plus grande mobilité dans les mouvements des yeux, tourner la tête plus facilement, mieux répartir la pression dans les plantes des pieds pour améliorer l’équilibre et la marche.
Le praticien observe également un ensemble d’éléments pour orienter son travail:
- ce qui est visible: gestuelle, mimique, posture, habitudes, respiration, etc.
- ce qui est audible: la voix, la respiration, l’impact des pas etc.
- ce qui est tangible: le tonus musculaire, la flexibilité, les résistances, la respiration, le poids, etc.
La séance consiste en un ensemble de mouvements guidés par le toucher ou la voix du thérapeute. Les leçons individuelles ne sont pas des massages ni des manipulations, mais plutôt des explorations guidées. Le praticien utilise le toucher pour agir au niveau du squelette, des muscles, de la peau. Le thérapeute ne va pas agir directement sur les points posant problème : il va proposer un ensemble de mouvements, pour améliorer les relations entre les différentes parties du corps mises en jeu.
Le patient est la plupart du temps allongé sur la table (sur le dos, le ventre ou le côté) mais cela peut varier selon les séances. La position peut varier aussi au cours de la séance puisque le praticien Feldenkrais s’appuie toujours sur l’observation du patient pour orienter la séquence de mouvements proposés. Le patient est habillé.
Certaines séances se déroulent avec un dialogue entre le patient et le thérapeute sur le ressenti, mais parfois il n’y pas d’échanges verbaux et le patient se concentre simplement sur la réalisation des mouvements et la conscience fine de ceux-ci. Le but des leçons est d’amener le patient à observer les contrastes, qui existent selon la façon dont est réalisé un même geste. Petit à petit, il découvre ce qui bouge chez lui et comment il le bouge. Il peut s’approprier les mouvements qui vont lui donner le plus de confort à travers le moins d’effort possible. C’est un travail d’amélioration de la proprioception.
En fin de séance, le thérapeute propose de refaire le déplacement expérimenté pour noter si des changements de perception ont eu lieu par rapport au tout début. Cela permet également de l’intégrer, pour le réutiliser ensuite de façon plus fonctionnelle dans la vie quotidienne.
Séances en groupe
Elles sont aussi nommées prise de conscience par le mouvement (PCM).
Ces séances sont des pratiques d’exploration autour d’un thème, comme par exemple :
- passer du dos sur le côté;
- coordonner les fléchisseurs et les extenseurs pour soulager le dos;
- le diaphragme et les abdominaux;
- les muscles du bassin en lien avec les jambes etc.
Il n’y a jamais d’indication en termes de bon ou mauvais mouvement: le thérapeute propose aux participants d’observer eux-mêmes un mouvement, puis leur articulation entre eux, et finalement la conscience de l’ensemble du mouvement. Le praticien permet aux participants de goûter au plaisir de l’expérimentation, sans pression ni jugement.
Plusieurs variantes d’un même mouvement peuvent ainsi être successivement proposées. Ils peuvent être effectués de manière soit proximale (proche du corps) ou distale (périphérique). Par exemple, un geste de la hanche peut être initié par la cuisse ou la jambe (distal) ou par le bassin (proximal), le poignet peut être fléchi par l’avant-bras (proximal) ou par la main (distal).
En fin de séance, comme dans les leçons d’intégration fonctionnelle, les participants sont amenés à refaire un des mouvements, pour une phase dite d’intégration. L’idée est de pouvoir transférer cela dans le quotidien.
Bénéfices et Indications
La méthode Feldenkrais apporte des bienfaits sur le plan de la perception de soi: meilleure estime de soi, meilleure prise en charge de sa propre santé, comportement plus spontané, plus de liberté d’action et d’interaction.
Sur le plan mental, elle aide également à réduire le stress, à mieux appréhender ses possibilités et ses limites, à réguler les tensions et le sentiment d’impuissance, à se responsabiliser.
Sur le plan moteur, elle amène à une meilleure proprioception (meilleure perception des différentes parties du corps, de leurs fonctions et de leurs relations), à plus d’aisance et de fluidité dans les mouvements. Enfin, elle se montre efficace pour gérer les douleurs en terme d’acceptation et d’adaptation, et donc pour réduire celles-ci.
La méthode Feldenkrais apporte d'autres bienfaits : elle est indiquée pour les troubles généraux de l’appareil locomoteur. Elle a aussi une influence positive sur certains processus psychothérapeutiques.
Limites
La thérapie Feldenkrais peut se révéler impuissante, pour les cas de graves perturbations psychiques. Elle peut également être contre-indiquée en cas de problèmes physiques graves ou aigus. La compatibilité de la méthode doit être vérifiée avant la prise en charge avec des spécialistes compétents dans les domaines concernés.
Différences avec d’autres méthodes: yoga, technique Alexander
La technique Alexander met l’accent sur l’apprentissage spécifique de la relation entre tête, cou et dos, alors que la méthode Feldenkrais ne lui accorde pas autant d’importance et explore d’autres relations fonctionnelles. La technique Alexander se base sur un usage de soi correct, c’est à dire permettant d’utiliser le squelette, afin de se mouvoir plus facilement. Elle s’appuie sur la prise de conscience et la maîtrise du lien entre stimulus et réponse motrice. Tandis que la méthode Feldenkrais explore la perception de soi et travaille sur l’image de son propre mouvement, ainsi que sur les relations fonctionnelles entre différentes parties du corps, pris dans son ensemble.
Le yoga, quant à lui, se base sur des pratiques traditionnelles millénaires alors que la méthode Feldenkrais est relativement récente. En yoga, les séquences de mouvements à effectuer sont prédéterminées: les formes à exécuter sont fixes, au contraire d’une pratique telle que Feldenkrais, qui privilégie l’exploration et donc l’expérimentation des variantes possibles. Le yoga constitue en lui-même une voie, tandis que la méthode Feldenkrais permet à chaque individu de trouver et suivre son propre chemin.
Questions fréquentes
Qu'est-ce que la méthode Feldenkrais?
La méthode Feldenkrais est une thérapie psycho-corporelle, fondée sur la prise de conscience du mouvement. Elle a pour objectif de développer une meilleure perception de soi.
Pourquoi pratiquer la méthode Feldenkrais?
- Favorise une meilleure perception de soi : meilleure estime de soi, meilleure gestion de sa propre santé
- Accroît l'aisance des mouvements : troubles généraux de l’appareil locomoteur
- Réduction du stress
Quelles sont ses limites?
La méthode Feldenkrais est déconseillée pour les personnes présentant des troubles physiques graves ou aigus.
Pour les perturbations psychiques graves, cette méthode n'est pas adaptée.
- 1: Moshe Feldenkrais : Energie et bien-être par le mouvement, le classique de la méthode Feldenkrais, Dangles, 1993.
- 2: Thérapie Feldenkrais, Identification de la méthode à l’attention de l’OrTra TC soumise par ASF Association Suisse Feldenkrais Feldenkrais Network International e.V, juillet 2016🔗 https://www.oda-kt.ch/fileadmin/user_upload/pdf/F/METID/MetID_F_20161024_thw.pdf
- 3: Prise de conscience par le mouvement, Evelyne Volk, Encyclopédie Médico-Chirurgicale 26-061-B-10, 2000.🔗 https://www.studio-feldenkrais.ch/images/presse/feldenkrais-Intelligence-corporelle.pdf