Apaiser la relation entre frère et sœur à l’âge adulte

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Cette question est abordée largement dans les ouvrages thématiques s’adressant aux parents. Pourtant, si les conseils donnés sont judicieux, il est important de considérer aussi leur influence à l’âge adulte. En tant que parents, nous sommes inscrits dans ce type de relation. En tant qu’adultes, nous portons en nous une histoire de fratrie. La relation frère - sœur demeure impactée par notre vécu enfantin, parfois porteur de blessures et de rancœurs. Elles peuvent influencer à leur tour la façon dont on élève nos propres enfants. Comment apaiser et faire évoluer notre lien avec ceux qui ont partagé notre enfance ?

Des étiquettes attribuées dès l’enfance

Frère et sœur : quelle relation à l'âge adulte ?

Le petit dernier, l’aîné raisonnable, le chouchou, la petite, le distrait… les qualificatifs que les parents donnent à un enfant ne manquent pas. Pourquoi ce besoin de donner un surnom ou une caractéristique ? Les parents le font bien souvent par affection.
Nous ressentons le besoin de lui faire sentir qu’il est unique à nos yeux.

Ainsi, nous pensons le différencier des autres membres de la fratrie. Nous l’identifions à un comportement bien ancré chez lui, ou bien à un trait physique particulier. Ce peut aussi être un défaut qui va être mis en exergue (« le lambin », « toujours à la traîne »), une ressemblance avec un autre membre de la famille (« tata bis »).

Que ces surnoms soient adoptés tels quels ou qu’on les évoque ponctuellement, ils sont le reflet des projections que les parents font sur leur progéniture. Consciemment ou non, les mots prononcés vont induire des comportements. Celui toujours considéré comme l’enfant modèle va redoubler d’efforts pour satisfaire ses parents. Celui envers qui on montre inconsciemment une préférence va tout faire pour rester en demande. Il se rassurera ainsi sur l’amour que ses parents lui portent en retour.

Tant qu'il reste dans ces projections, il n’a pas conscience de sa propre individualité. Il se pense de la même façon que ses parents le décrivent. Il cherche le plus souvent à coller à ce modèle, au détriment de ses propres besoins.

Dans le cadre de la relation entre frère et sœur s’installe alors le même phénomène. Tu es l'aîné ou le cadet donc tu es comme ci ou comme ça parce que les parents te décrivent de cette façon. Je te perçois de la même façon qu’eux, parce que j’ai été élevé dans cette idée. On voit bien qu’alors, chacun dans la fratrie occupe une place prédéterminée, dans un jeu de rôles distribué par les parents. Bien évidemment, cela se fait parfois bien subtilement et sans mauvaise intention. Au fil des années pourtant, le poids des étiquettes se fait sentir et la bonne entente peut se dégrader.

La place dans la fratrie adulte

Il est curieux de constater comme nous avons tendance à rester le petit dernier ou le grand, ou encore celui du milieu, dans nos têtes d’adultes. Le schéma de l’ordre fraternel peut perdurer toute la vie1. Il se révèle alors douloureux quand la relation entre frère et sœur est définie par ces rôles limitants.

Prenons l’exemple d’un aîné qui a toujours dû montrer l’exemple et prendre les plus petits sous son aile. Bénéficiant de la totale confiance de ses parents, et d’une certaine pression pour satisfaire leurs exigences, il peut garder la même attitude une fois adulte. C’est comme ça que certains vont vouloir régenter l’organisation familiale pour les fêtes, les vacances, les démarches lors des décès. Ils vont alors penser qu'ils doivent protéger leurs cadets.

De leur côté, les plus jeunes vont alors se sentir tenus pour incapables ou irresponsables, comme s’ils n’avaient pas grandi. Mais un autre revirement peut opérer. L’aîné peut au contraire vouloir se dégager de cette étiquette d’enfant modèle tandis que les autres membres de la famille continueront à s’appuyer sur lui. C'est alors une relation entre frère et sœur de dépendance qui peut s’installer. Les cadets comptant toujours sur l’aîné pour régler les problèmes, prendre en charge en particulier tout ce qui relève de la transmission familiale.

Evidemment, ces problématiques peuvent se transposer du côté des plus jeunes. Ceux-ci peuvent se sentir frustrés de subir le poids du modèle aîné même une fois adulte. Combien d’enfants devenus adultes continuent à se comparer en pensant ne jamais réussir à égaler la fratrie ?

Quant à celui du milieu, coincé entre l’aîné et le benjamin, il souffre souvent du syndrome du vilain petit canard. Trouver sa place n’est jamais évident, peut-être encore plus quand on arrive entre deux enfants. L’aîné est la plupart du temps très attendu, le petit dernier particulièrement chouchouté quand on sait qu’il n’y aura pas à suivre. Celui dit du "milieu", même adulte, peut éprouver la sensation de n’avoir toujours pas la reconnaissance qu’il recherche. Pour peu que l’aîné et le benjamin se soient naturellement rapprochés, il sera alors toujours tiraillé entre la recherche de l’amour de ses parents et la quête de l’acceptation par sa fratrie.

Des sentiments complexes et persistants

Selon la relation tissée dans l’enfance entre frère et sœur, des sentiments contrastés naissent. Les besoins affectifs de chacun engendrent des attentes envers les uns et les autres, pas toujours comblés comme on le souhaiterait. Les enfants reproduisent entre eux les comparaisons systématiques que font leurs parents.

Les complexes d’infériorité sont fréquents. Parce qu’un enfant aura été décrit comme le petit génie de la famille, ou encore celui qui est un vrai champion de sport, alors l'un des membres de la fratrie se sentira toujours en position de faiblesse dans ces domaines. Cela peut se transformer en sentiment d’infériorité généralisée.

Il en découle possiblement une forme de jalousie, parfois des tentatives d’imitation. Les enfants peuvent donc essayer de les rattraper en se démarquant à leur façon… pas toujours positivement. Si certains vont redorer leur estime de soi et leur besoin de reconnaissance parentale, en excellant dans une passion ou un secteur professionnel, d’autres vont plonger dans la rébellion par provocation. Cela peut aller jusqu’à des phénomènes d’autosabotage.

Par exemple, une fille dont la sœur aînée aura toujours été vue comme belle, ou très douée intellectuellement, aura tendance à se limiter, à penser qu’elle n’est pas capable d’en faire autant. C’est dans ce genre de situation qu’on rencontre des discours internes dévalorisants du type : « Le succès ça n’est pas pour moi », « de toute façon je ne mérite pas de réussir », « je n’ai aucun talent particulier ». Autant de freins considérables pour l’épanouissement personnel et professionnel. L’autre enfant, celui tant envié, n’est pas responsable pour autant de ce que les parents ont projeté sur lui et de l’image que les autres membres de la famille s’en font. Il doit par contre veiller à ne pas jouer de cela pour se mettre en position de domination.

Les complexes fraternels et sororaux peuvent donc être d’ordre physique, moral, intellectuel. Ils résultent des projections parentales et s’accompagnent d’une bataille pour conserver l’amour des parents.

La relation de jalousie entre frère et sœur est normale durant l’enfance : au fond, chacun voudrait garder sa place comme dans le ventre maternel, pour ne pas manquer d’amour. Cette peur du manque est fondatrice des rapports de force qui vont s’établir par la suite. C’est donc aux parents d’assurer aux enfants une éducation où ils se sentiront reconnus pour eux-mêmes, et sans comparaison avec la fratrie. La sécurité intérieure ainsi acquise est celle qui permet véritablement de devenir adulte et dépasser les rancœurs et la culpabilité de ne pas être celui que les parents auraient voulu.

Vers une relation d’adulte à adulte

Il y a un cap à franchir pour ne plus subir une relation frère et sœur désagréable : celui de considérer que les parents ont fait du mieux qu’ils pouvaient.

Partant de là, sauf cas de mauvais traitements ou violences avérées, en tant qu’adultes nous pouvons déjà reconnaître que s’il nous semble avoir reçu trop ou pas assez en comparaison, nos parents nous ont aussi transmis l’essentiel. Un autre point est de se responsabiliser pleinement. Sortir du statut de l’enfant pour se saisir pleinement de ses capacités d’adulte. Quelle que soit la façon dont nous avons vécu nos relations fraternelles durant l’enfance, nous sommes désormais à même de leur donner une nouvelle orientation, indépendamment du regard parental.

Il est tentant de conserver une attitude de victime ou de se sentir condamné à rester le grand irréprochable ou la petite chouchoute. Nous seuls pouvons décider de la façon dont nous voulons être considérés adultes. C’est une autre relation frère - sœur qui peut se construire, sans effacer le passé mais en prenant en charge nos besoins affectifs dans ce cadre.

A quel moment pouvons-nous considérer les autres membres de la fratrie autrement que comme des enfants ? Il y a des circonstances de vie où cela est évident. Lorsqu’un des parents décède, il faut bien s’occuper de sa succession. La remise en jeu du destin familial demande alors de sortir des chamailleries et tensions pour œuvrer au nom du collectif. Ce n’est pas toujours évident…

D’autres événements nous donnent aussi accès au statut d’adulte auprès : les mariages et unions, les naissances. En ces moments, nous devenons beau-frère, tante ou oncle. Ces étapes sont autant d’opportunités pour construire d’autres rapports grâce aux nouvelles personnes agrandissant la famille. Un rôle de co-éducateur, de soutien moral ou affectif, un rôle empreint de complicité avec un neveu ou une nièce…

Et quand la cellule familiale demeure celle de la fratrie de départ, sans enfants ni conjoints ? La problématique reste la même : adultes, nous avons le pouvoir de décider de nos envies et nos besoins. En les identifiant et en allant chercher en nous-mêmes et auprès des autres les moyens de les combler de façon saine, nous continuons à nous construire. Nous développons notre personnalité en dehors des parents. Cela n’appartient qu’à nous.

Le poids de l’histoire familiale

Consciemment ou non, chaque parent lègue à sa progéniture une part de son histoire personnelle et familiale. Elevés dans un ensemble de croyances systémiques, nous nous faisons très tôt une idée de la façon dont nous sommes censés mener notre vie pour rester dans la lignée familiale.

Le plus logique étant de reproduire tout ou partie des accomplissements de nos parents : même type de profession ou même niveau de revenus, même région ou ville, même type de relations amoureuses ou amicales… Au-delà des clichés, il demeure que nous sommes profondément influencés par leur histoire sans forcément nous en rendre compte. C’est ce qui fonde la famille comme système dont les membres sont interdépendants. Une fois adultes, difficile de se défaire des injonctions parentales. Qui n’a pas entendu cette petite voix nous dire « si ton père voyait ça », « ta grand-mère n’aurait jamais osé faire ça ».

Nos choix professionnels comme personnels sont susceptibles de subir le poids de l’histoire familiale. Par loyauté, nous restons fidèles à ce que les parents ont projeté sur nous et à notre relation d’enfance entre frère et sœur.

Au niveau amoureux, il se peut par exemple que nos interactions soient marquées par la dépendance affective parce que nous recherchons en vain l’amour que nous attendions d’un membre de la famille absent. Dans le cadre du travail, nous pouvons nous mettre sans cesse en situation de compétition néfaste juste pour prouver que nous valons aussi bien qu’eux…

Il y a aussi ces fratries où l’un des enfants tente toute sa vie d’imiter le frère ou la sœur en faisant des choix de vie analogues, pour enfin lui plaire ou avoir le sentiment de réussir comme lui ou elle. Des schémas peuvent ainsi se répéter, preuve qu’il est temps de se détacher des étiquettes de l’enfance et d’oser vivre sa vie. Au moment du décès des parents, il est fréquent que les choix de vie se posent davantage, comme pour enfin acter de sa propre naissance d’adulte. La relation frère - sœur est alors susceptible soit de se resserrer, soit au contraire de se déchirer.

Le deuil du frère ou de la sœur parfaite

La relation frère - sœur peut se compliquer quand l’un décide de s’éloigner du modèle familial. Incompréhension, sentiment de trahison, de rejet… Il est difficile autant pour l’un de choisir de vivre sa vie, que pour les autres d’accepter qu'il change, quitte à s’éloigner. Personne ne peut être parfait.

Pour certaines personnes, il est douloureux de se rendre compte qu’elles ne pourront jamais compter sur le soutien, la présence ou les conseils d’un grand frère. Pour d’autres, c’est la jalousie perpétuelle qui viendra faire souffrir. Les manques affectifs engendrés peuvent être importants. Ils nous demandent de nous rendre attentifs à nos propres besoins.

Ces absences de modèles idéaux viennent aussi nous rappeler que la perfection n’existe pas. Nous avons chacun nos difficultés et nous ne pouvons attendre des autres qu’ils comblent tous nos besoins. Hors du cocon familial, nous pouvons en tant qu’adultes trouver des substituts de relations fraternelles et sororales. Les amis, les collègues, les pairs que nous côtoyons sont autant de chances de relations nourrissantes.

Si nous estimons avoir fait ce qui est en notre pouvoir pour rétablir une bonne relation avec notre frère et notre sœur, il faut aussi savoir avancer et se détacher. Cela demande parfois de couper les ponts, si les rapports sont devenues toxiques. Ou bien de mettre de la distance. Parfois, un simple éloignement, comme se voir un peu moins souvent, ou en dehors de la maison, peut aussi aider à apaiser les tensions. En attendant moins des autres, on peut aussi redevenir plus souple et ne plus tenir rigueur aux membres de la famille s’ils ne sont pas comme l’on voudrait…

L’individuation pour apaiser les relations familiales

La notion d’individuation, élaborée par Carl Jung, correspond à l’émancipation de l’individu en tant que soi. Cela signifie que nous accédons à une réalisation de notre personnalité à travers ses différentes facettes, y compris dans ses contradictions.

Pour un enfant devenu adulte, passer par cette étape d’individuation équivaut à se détacher du système familial sans pour autant le renier ni le supprimer2. C’est connaître son histoire, savoir comment se sont construites la relation frère -sœur et ce que nous souhaitons vivre en tant qu’adultes.

Aller bien pour soi d’abord est préférable à vouloir à tout prix améliorer l'entente avec les uns et les autres et éviter les rivalités ou disputes. Cela évite de s’obstiner à reprocher des griefs qui deviennent stériles. En s’apaisant, on s’autorise aussi la liberté de garder le lien ou pas.

Bien souvent, dans la relation frère - sœur conflictuelle ou problématique, quand l’un des protagonistes agit pour son propre bien-être, cela rejaillit sur les autres à long terme. Il n’est pas rare que voyant qu’un membre de la fratrie va mieux, semble être plus détaché et apaisé par rapport à la dynamique familiale, les autres enfants se sentent alors aussi plus sereins. Cela peut aussi les inciter à se remettre eux-mêmes en question. Au final, cela apaise l’ensemble des relations familiales.

En se considérant comme un adulte à part entière, capable de construire notre vie sans dépendre du regard de nos parents ou autres membres de la famille, nous pouvons retrouver avec ces derniers des relations plus sereines. Même s’il arrive que nous soyons dans des impasses relationnelles avec eux, prendre d’abord soin de nous nous permet de faire les bons choix vis-à-vis de ces relations si particulières.

Questions fréquentes

Comment se fonde la relation entre frère et sœur ?

La relation entre frère et sœur est définie par les parents, qui vont inconsciemment induire chez les enfants, des comportements caractéristiques.

Quel impact à l'âge adulte ?

Ces relations prédéfinies peuvent perdurer à l'âge adulte, et l'entente entre les membres de la fratrie peut se dégrader.

Comment s'en détacher ?

- Émancipation de l'individu
- Se distancer du modèle familial
- Se considérer comme un adulte à part entière


  • 1Frères et sœurs pour la vie: l'empreinte de la fratrie sur nos relations adultes, Lisbeth von Benedek, Eyrolles, 2013.
  • 2Frères, Sœurs : guérir de ses blessures d'enfance, Virginie Megglé, Alix Leduc,Editions Leduc, 2015.
Marion Dorval
Marion Dorval, Auteur

Accompagnatrice en expression vocale créatrice. Spécialisée auprès des personnes hypersensibles. Ex enseignante pendant 10 ans.