Bêta-carotène : quels risques pour les fumeurs ?

-

Le bêta-carotène (ou β-carotène) est un pigment de couleur orange, que l’on qualifie également de provitamine A : cela signifie que l’organisme humain peut transformer le bêta-carotène en vitamine A. Il est principalement connu pour son rôle dans le maintien d’une acuité visuelle optimale ainsi que pour son activité antioxydante. Néanmoins, son utilisation en complément alimentaire a été décriée, des suites d’une étude alarmante soulignant le risque accru de survenue de cancer chez les fumeurs. Point complet sur les risques et dangers du bêta-carotène pour les fumeurs ou fumeuses.

Recherche sur le tabagisme

Le bêta-carotène, présent en abondance dans les carottes, pourrait être nocif pour les fumeurs.

En 1990, une équipe de chercheurs de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a mené une étude sur plusieurs années, auprès de 60 000 femmes françaises, âgées de 40 à 65 ans1‌.

L’objectif de cette recherche était d’analyser les différents facteurs de risque de cancer.

Ainsi, les femmes y prenant part ont rigoureusement renseigné de nombreuses données en complétant des auto-questionnaires. Elles ont été interrogées tout d’abord sur leur alimentation, puis sur les apports en bêta-carotène et autres nutriments, mais également sur la prise de compléments alimentaires, et enfin, sur leur statut tabagique.

Conclusions de l'étude et chiffres

Les chercheurs ont décelé une interaction significative entre l’apport en bêta-carotène et le tabagisme.

D’une part, le β-carotène permettrait de prévenir l’apparition d’un cancer chez les femmes n’ayant jamais fumé (les chercheurs considèrent que les femmes qui ont consommé moins d’une cigarette par jour portent le statut non-fumeur).

Effectivement, les scientifiques estiment le nombre de cas potentiels de cancers à 181,8 sur 10 000 femmes, dans le cadre d’un apport en bêta-carotène qualifié de faible. En revanche, face à un apport élevé, le nombre de cas chute à 81,7. Les chercheurs attribuent ces résultats encourageants à l’effet antioxydant du bêta-carotène.

D’autre part, chez les fumeuses ou les femmes ayant consommé du tabac par le passé, le bêta-carotène est associé à un risque plus élevé de survenue de cancer. En effet, les chiffres sont parlants : un apport faible pourrait être lié à 174 cas de cancers sur 10 000 femmes, tandis qu’une consommation élevée serait à l’origine de 368,3 cas.

En outre, les chercheurs précisent que ces résultats concernent uniquement les cancers liés au tabagisme : ils ne seraient pas à mettre en relation avec des cancers non liés au tabac, comme celui du sein par exemple.
Pour les fumeurs, une supplémentation en bêta-carotène n'est donc pas recommandée.

Aspects préventifs de l’étude

Non-fumeurs

Les chercheurs encouragent la consommation de fruits et de légumes contenant du β-carotène aux personnes non-fumeuses, afin de bénéficier de son effet antioxydant.

Fumeurs

Les chercheurs déconseillent la prise de compléments alimentaires à base de bêta-carotène aux fumeurs mais également aux ex-fumeurs.

Autres conclusions scientifiques

Sphère pulmonaire

Dans les années 1980, le β-carotène fait tout d'abord l'objet de tests sur les rongeurs. Les résultats sont alors prometteurs. Des études sont ensuite menées sur l’homme, et malheureusement, elles ne confirment pas les effets positifs observés in vivo.

En effet, en 1996, un essai clinique (randomisé, en double aveugle et sous contrôle placebo) conduit auprès de plus de 18 300 personnes a dû être arrêté près de deux ans avant la fin initialement prévue. Les patients étaient fumeurs ou anciens fumeurs, ils avaient également pu être exposés à l’amiante.

Deux groupes ont été formés : le premier a reçu un traitement à base de 30 mg de bêta-carotène et 25 000 UI de rétinol par jour, et le second, un placebo. Il s’est avéré que le risque de contracter un cancer du poumon était plus élevé dans le groupe complémenté en β-carotène.

Effectivement, les chercheurs ont dénombré 388 nouveaux cas de cancer pulmonaire. Pour ces patients, le risque de mortalité est également augmenté des suites de l’administration de bêta-carotène2.

En outre, une autre étude est arrivée à des conclusions similaires : ile bêta-carotène augmente le risque de survenue de cancer du poumon chez les fumeurs. Ce risque est d’autant plus élevé que la consommation de tabac est importante1.

Tube digestif

En 2002, un nouvel essai clinique démontre que la supplémentation en β-carotène, à raison de 20 mg par jour, favoriserait l’apparition de cancers intestinaux2.

L’année suivante, des chercheurs s’intéressent plus spécifiquement aux adénomes colorectaux. Ils souhaitent étudier le rôle du bêta-carotène face au risque de rechute. 864 personnes ont ainsi pris part à la recherche. Chaque patient a préalablement subi une ablation de l’adénome, et ne compte aucun polype.

Les sujets du groupe test ont absorbé 25 mg de β-carotène par jour. Les résultats des coloscopies effectuées ont montré des effets positifs à la prise de bêta-carotène chez les patients non-fumeurs. En effet, le risque de récidive de la pathologie a significativement diminué.

Toutefois, la supplémentation en β-carotène chez les fumeurs est susceptible d’augmenter le risque de rechute. Autre information préoccupante : les personnes qui consomment du tabac et de l’alcool (plus d’un verre par jour) voient le risque de récidive de cancer doubler5.

En outre, une équipe de chercheurs a évalué le risque de survenue de cancer de l’estomac, consécutif à la prise de compléments alimentaires à base de β-carotène, dans le cadre du tabagisme ou de l'exposition à l'amiante. Il s’élève à 54%3.

Voies urinaires

Récemment, une compilation de plusieurs essais cliniques a montré que la supplémentation en bêta-carotène n’est pas en mesure de prévenir les cancers vésicaux. De plus, dans certains cas, elle aurait même pu augmenter le risque de survenue de ce type de cancer4.

En résumé

Les chercheurs ont effectué plusieurs méta-analyses, et leurs résultats sont concordants. Ils ne recommandent pas la supplémentation en β-carotène dans le cadre de la prévention du cancer. En outre, les fumeurs qui se complémentent risquent davantage de contracter un cancer du poumon, du tube digestif ou de la vessie5‌‌ 6.

L’INCa (Institut National du Cancer) a publié en 2015 un rapport traitant de la supplémentation en β-carotène, où il se positionne en sa défaveur. En effet, l’INCa reconnait l’implication du bêta-carotène dans l’augmentation du risque de cancer pulmonaire et gastrique chez les fumeurs et les personnes exposées à l’amiante7.

Apport alimentaire

Est-il conseillé ?

Les médecins et chercheurs s’accordent à dire qu'un apport par l’alimentation est nécessaire à la santé, et ce, afin d’éviter les carences en vitamine A. Il faut néanmoins pondérer cet apport, pour ne pas tomber dans l’excès, qui peut être délétère pour l’organisme.

Il n’y a pas d’apport nutritionnel conseillé pour le β-carotène : on tient compte de celui de la vitamine A. Selon l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), les références nutritionnelles pour la population (RNP) s’élèvent à :

  • 750 µg d’ER (équivalent rétinol) pour l’homme,
  • 650 µg d’ER pour la femme
  • et de 450 à 550 µg d’ER pour les enfants.

Selon l’ANSES, environ 60% des apports en vitamine A doivent provenir des caroténoïdes (le plus commun étant le bêta-carotène).

La supplémentation en bêta-carotène

Compléments alimentaires

Les médecins chercheurs sont globalement en accord sur la question de la prise de compléments alimentaires à base de β-carotène : ils la déconseillent, en raison d’un rapport bénéfice/risque fortement déséquilibré.

En outre, l’INCa considère que la supplémentation en bêta-carotène est un facteur augmentant le risque de cancers.

Carence en vitamine A

Un seul cas de figure pourrait nécessiter réellement une supplémentation en bêta-carotène : la carence en vitamine A. Elle survient davantage au sein des pays en voie de développement et engendre des problématiques telles que la diminution de l’acuité visuelle et un retard de croissance chez les enfants.

Législation et vente de compléments alimentaires

Le bêta-carotène apparaît dans la liste des substances vitaminiques que l'on peut utiliser dans le cadre de la fabrication de compléments alimentaires. En effet, il figure au sein de l’arrêté du 9 mai 2006, relatif aux nutriments pouvant être employés dans la fabrication des compléments alimentaires. Cet article de loi est toujours en vigueur et a fait l’objet d’une réactualisation récente8.

Toutefois, cet arrêté fixe une limite en ce qui concerne l’apport journalier en β-carotène. Il ne doit pas excéder 800 µg d’ER par jour, ce qui équivaudrait à 4,8 mg de bêta-carotène par jour.

Précautions d’usage

Si vous souhaitez tout de même vous complémenter en bêta-carotène, nous vous invitons à en discuter tout d'abord avec votre médecin traitant.

Soyez particulièrement vigilant en ce qui concerne le dosage.

Le meilleur moyen de prévention des cancers liés au tabagisme reste l’arrêt de la cigarette. Néanmoins, le bêta-carotène et le tabagisme ne font pas bon ménage : les fumeurs devraient éviter de se complémenter.


  • 1Touvier M., Clavel-Chapelon F., Boutron-Ruault MC., (2006) Consommation élevée de β-carotène : un risque de certains cancers diminué chez les non-fumeuses, mais augmenté chez les fumeuses. Med Sci (Paris).
  • 2Omenn GS., Goodman GE., Thornquist MD., & al., (1996) Effects of a combination of beta carotene and vitamin A on lung cancer and cardiovascular disease. N Engl J Med.
  • 3Albanes D., Heinonen OP., Taylor PR., & al., (1996) Alpha-tocopherol and beta-carotene supplements and lung cancer incidence in the alpha-tocopherol, beta-carotene cancer prevention study : effects of base-line characteristics and study compliance. J Natl Cancer Inst.
  • 4Malila N., Taylor PR., Virtanen MJ., & al., (2002) Effects of alpha-tocopherol and beta-carotene supplementation on gastric cancer incidence in male smokers (ATBC study, Finland). Cancer Causes Control.
  • 5Baron JA., Cole BF., Mott L., & al., (2003) Neoplastic and antineoplastic effects of beta-carotene on colorectal adenoma recurrence : results of a randomized trial. J Natl Cancer Inst.
  • 6Druesne-Pecollo N., & al., (2010) Beta-carotene supplementation and cancer risk: a systematic review and metaanalysis of randomized controlled trials. International journal of cancer.
  • 7Park SJ., Myung SK., Lee Y., Lee YJ., (2017) Effects of Vitamin and Antioxidant Supplements in Prevention of Bladder Cancer: a Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. J Korean Med Sci.
  • 8Druesne-Pecollo N., & al., (2010) Beta-carotene supplementation and cancer risk: a systematic review and metaanalysis of randomized controlled trials. International journal of cancer.
  • 9Jeon YJ., & al., (2011) Effects of beta-carotene supplements on cancer prevention: meta-analysis of randomized controlled trials. Nutrition and cancer.
  • 10Jeon YJ., & al., (2011) Effects of beta-carotene supplements on cancer prevention: meta-analysis of randomized controlled trials. Nutrition and cancer.
  • 11INCa, (2015) Nutrition et prévention primaire des cancers : actualisation des données, collection État des lieux et des connaissances.
  • 12Ciqual, site de l'ANSES🔗 https://ciqual.anses.fr/
  • 13Arrêté du 9 mai 2006 relatif aux nutriments pouvant être employés dans la fabrication des compléments alimentaires. NOR: ECOC0600052A. Version consolidée au 10 décembre 2019.🔗 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000023980839
Mélanie Manzanares

Rédactrice spécialisée dans le domaine de la santé, ayant obtenu le diplôme d'état infirmier en 2013.